D'Orient en Occident, l'épopée d'un gâteau voyageur
On imagine le pain d'épices né dans les villages alsaciens. Erreur. Ses racines plongent bien plus loin. Les Grecs de l'Antiquité confectionnaient déjà le « melitounta », un pain de sésame nappé de miel. Les Romains friaient leur « panis mellitus » avant de l'enrober de cette substance dorée qu'ils considéraient comme divine.
Mais c'est en Chine, au Xe siècle, que naît le véritable ancêtre : le « Mi-Kong », littéralement « pain de miel ». Ce gâteau servait de ration aux cavaliers de Gengis Khan. Pratique, nourrissant, il voyage avec les armées mongoles jusqu'au monde arabe.
Les Croisades font le reste. Les Européens découvrent cette douceur épicée en Terre Sainte et rapportent la recette. À l'époque, posséder de la cannelle, du gingembre ou du clou de girofle relevait du luxe. Ces épices venues d'Orient coûtaient une fortune. Le pain d'épices restait réservé aux tables nobles.
Comment l'Alsace adopte le pain d'épices
Les monastères cisterciens accueillent en premiers cette recette. En 1453, un texte mentionne déjà des pains d'épices sur les tables de Noël des moines de Marienthal, près d'Obernai. La tradition s'enracine.
À Reims, au XIVe siècle, les premiers « pains d'épiciers » français s'installent. Leur base : farine de seigle, miel, épices. L'Alsace développe rapidement sa propre identité. À la Renaissance, les « Lebküchler » deviennent si nombreux qu'ils créent leur corporation. Leur emblème ? Un ours tenant un bretzel, qu'on aperçoit encore au-dessus de certains ateliers de Gertwiller.
Gertwiller, le village qui sent bon le miel et la cannelle
Gertwiller. Ce nom résonne pour qui aime le pain d'épices. Niché entre Barr et Obernai, au pied du Mont Sainte-Odile, ce village détient le titre de capitale du pain d'épices depuis le XVIIIe siècle.
Premier fabricant répertorié : Andréas Schmidt en 1727. Ses parents tenaient déjà un atelier à Mittelbergheim. Vers 1900, ce village de 800 habitants comptait huit ou neuf fabriques de pain d'épices. Impressionnant.
Lors de la « Messti », la fête du village, chaque localité alsacienne avait son stand de pain d'épices de Gertwiller. Les amoureux s'offraient des cœurs décorés. Les conscrits en vendaient pendant leurs tournées. Les enfants collectionnaient les images gaufrées qui ornaient ces petits trésors sucrés.
Aujourd'hui, Gertwiller perpétue cette tradition. Des maisons comme Fortwenger, établie depuis 1768, transmettent leur savoir-faire depuis neuf générations. Michel Habsiger, artisan installé à Gertwiller depuis 1977, explique que « le pain d'épices sent bon la cannelle dès qu'on pousse la porte de l'atelier ». Pour découvrir ces trésors artisanaux, un pain d'épices traditionnel reste le meilleur moyen de voyager au cœur de cette histoire.
Ce qui fait un vrai pain d'épices alsacien
Trois éléments distinguent le pain d'épices authentique : le miel, les épices, le temps.
Le miel d'abord. Pas n'importe lequel. En Alsace, on choisit du miel de forêt, de châtaignier ou toutes fleurs. Idéalement vosgien ou alsacien, avec une IGP qui garantit l'origine. Le miel constitue le principal sucrant, pas juste un ingrédient d'appoint. C'est lui qui donne cette texture moelleuse incomparable.
Les épices ensuite. Chaque artisan garde jalousement son mélange, hérité de génération en génération. La base alsacienne réunit généralement sept épices : cannelle en star, anis étoilé, clou de girofle, noix de muscade, gingembre, cardamome, parfois coriandre ou poivre. Certains ajoutent des écorces d'orange et citron confites, des amandes hachées. Cette diversité crée autant de personnalités que de maisons.
Le temps enfin. Un vrai pain d'épices ne se fait pas en deux heures. La pâte repose au minimum 48 heures, souvent plusieurs semaines chez les artisans. Ce repos permet aux épices de libérer leurs arômes et au miel de pénétrer la farine.
La recette pour la faire chez soi
Vous voulez tenter l'aventure ? Armez-vous de patience.
Les ingrédients :
- 500 g de farine (dont une partie de seigle)
- 350 g de miel
- 150 g de sucre
- 10 à 15 g d'épices à pain d'épices
- 170 g d'amandes hachées
- 50 g de citron confit
- 50 g d'orange confite
- Le jus d'un ou deux citrons
- 10 g de bicarbonate d'ammoniaque
- Un verre d'eau
La préparation :
Chauffez doucement le miel. Ajoutez l'eau, le sucre, le jus de citron. Versez ce mélange sur la farine mélangée aux épices, amandes et fruits confits. Incorporez le bicarbonate en dernier. Travaillez jusqu'à obtenir une pâte homogène, souple comme de la pâte à modeler.
Arrive le moment crucial : laissez reposer 48 heures minimum dans un endroit frais (pas au frigo). Certains artisans attendent plusieurs semaines.
Après le repos, retravaillez la pâte. Trop ferme ? Ajoutez un peu d'eau. Étalez sur cinq à dix millimètres d'épaisseur. Découpez vos formes : cœurs, étoiles, petits bonshommes.
Enfournez à 200 °C, entre 5 et 10 minutes. Le pain d'épices doit lever et prendre une belle couleur dorée.
Pour le glaçage, battez un blanc d'œuf avec du sucre glace et quelques gouttes de kirsch. Badigeonnez au pinceau sur les pains d'épices refroidis.
Les multiples visages du pain d'épices
Le pain d'épices alsacien se décline sous différentes formes.
Les sujets découpés : on utilise des emporte-pièces en tôle sur la pâte laminée. Personnages, animaux, cœurs, étoiles richement décorés après cuisson.
Les pains en bloc : héritage dijonnais, on coule la pâte dans des moules en bois. On obtient ces rectangles qu'on tranche pour accompagner le café.
Les langues de chat : fins et allongés, réalisés avec une formeuse aux cylindres gravés. Croquants et élégants.
Noël et pain d'épices, un mariage ancestral
Pourquoi associe-t-on tant le pain d'épices à Noël ? La tradition germanique de fabriquer des maisons en pain d'épices y contribue largement. Le conte « Hansel et Gretel » des frères Grimm a fait le reste. Malgré son côté inquiétant, cette histoire a transformé le pain d'épices en symbole de rêve et d'enfance.
Sur les marchés de Noël alsaciens, les stands déploient leurs trésors. Cœurs suspendus à des rubans, bonshommes souriants, maisons féériques. « Il embaume les rues à Noël. Les bonnes odeurs, les guirlandes, les sapins, tout va ensemble », confie un artisan de Gertwiller. Chaque création perpétue une tradition séculaire.
Un patrimoine protégé et vivant
Le pain d'épices alsacien dépasse la simple gourmandise. Plusieurs maisons artisanales ont obtenu le label « Entreprise du Patrimoine Vivant ». Cette reconnaissance salue l'excellence du savoir-faire et l'engagement dans la préservation des techniques traditionnelles.
Ces artisans utilisent uniquement de la farine, du miel alsacien ou vosgien, du sucre, des épices, de la levure et selon les variétés des noisettes, amandes, fruits confits. Aucun conservateur, aucun additif artificiel. Le pain d'épices reste un produit naturel, confectionné il y a un siècle.
Comment le déguster et le conserver
Nature, il révèle toute sa complexité aromatique. Légèrement toasté, il développe des notes caramélisées. Beaucoup l'aiment au petit-déjeuner, tartiné de beurre ou de confiture.
Les gourmets l'associent au foie gras. Le contraste entre le sucré des épices et l'onctuosité du foie gras surprend et régale. En cuisine, on peut l'émietter dans des desserts ou l'utiliser pour enrichir certaines sauces.
Pour le conserver, enveloppez-le dans du papier aluminium ou placez-le en boîte hermétique. Contrairement aux idées reçues, il se bonifie avec le temps. Après quelques jours, les saveurs se fondent et la texture s'attendrit encore.
Le pain d'épices se réinvente
Les artisans alsaciens innovent tout en respectant l'essence traditionnelle. Pain d'épices au chocolat, aux agrumes, aux fruits secs, au gingembre confit, aux épices exotiques. Les variations se multiplient.
Mais la recette traditionnelle reste la référence. Cette pâte sombre qui embaume la cannelle et le miel incarne l'âme de l'Alsace gourmande. De la Chine ancienne aux marchés de Noël strasbourgeois, du Mi-Kong mongol aux créations de Gertwiller, le pain d'épices a traversé les siècles.
Chaque bouchée raconte une histoire millénaire. Que vous le prépariez vous-même ou le dégustiez chez un artisan, ce gâteau vous transporte dans un voyage où se mêlent histoire, tradition et gourmandise. Cette douceur alsacienne continue d'écrire
Auteur: Nathalie C.